L'inlassable combat du père du soldat Shalit
A peine raccroché, le téléphone sonne à nouveau.
Noam Schalit, assis dans le salon baigné de lumière de la maison de Mitzpe Hilla, un village de Galilée près de la frontière avec le Liban, reprend le combiné. Il répète les mêmes remerciements avec la même voix douce et monocorde. Sur la table basse à côté de lui, une photo encadrée de son plus jeune fils, Gilad, 20 ans. Un portrait du jeune homme brun, aux traits encore juvéniles, souriant devant le paysage à moitié enneigé du Golan, dans le nord d'Israël.
«Les gens trouvent notre numéro dans les pages blanches. Beaucoup nous disent qu'ils laisseront un siège vide pour Gilad ce soir pour le seder de Pessah [repas traditionnel de la pâque juive]», explique-t-il. Noam s'exprime dans un mélange d'hébreu et de français, qu'il a hérité de sa mère, une Française installée en Israël. Noam et ses trois enfants, Gilad, Yoël, 24 ans et Hadas, 17 ans, ont ainsi la double nationalité, française et israélienne.
Gilad Schalit a été capturé le 25 juin lors d'une attaque commando palestinienne dans le sud d'Israël, à la lisière de la bande de Gaza. Depuis, tous les efforts pour obtenir des renseignements sur son sort sont restés vains.
Bataille diplomatique. Quand il a entendu, tôt dans la matinée du 25 juin, que des Palestiniens armés avaient mené une opération contre des soldats israéliens, Noam n'a pas appelé Gilad. Il pensait que son fils était en patrouille à plusieurs dizaines de kilomètres au nord de l'endroit où l'infiltration avait eu lieu. En fin de matinée, des officiers ont frappé à la porte du bureau de Noam, ingénieur industriel dans une usine de machine-outil de Nahariya, une petite ville du nord d'Israël.
Depuis, cet homme réservé et peu prolixe, âgé de 53 ans, s'est lancé dans une bataille diplomatique et médiatique acharnée qu'il mène parallèlement à ses activités professionnelles. Son épouse, Aviva, 52 ans, secrétaire dans une organisation de défense de la nature, refuse de se faire interviewer. «Ma femme dit que la seule chose qu'elle a à dire c'est :"Rendez-moi mon fils !"», explique Noam en tournant la tête vers Aviva, qui, affairée dans la cuisine adjacente au salon, se tient ostensiblement à l'écart.
Dès le lendemain de son enlèvement, les photos de Gilad Schalit ont fait la une de la presse israélienne. Avec son sourire timide, ses lunettes et son allure dégingandée d'adolescent grandi trop vite, le jeune homme a des airs d'étudiant studieux malgré son uniforme.
Son père le décrit comme un «garçon timide et introverti», fan de basket et toujours prêt, lors de ses permissions, à aider sa mère pour s'occuper des chambres d'hôtes qu'elle loue à côté du domicile familial.
Gilad est entré dans l'armée pour effectuer son service militaire obligatoire de trois ans en juillet 2005, un mois après avoir passé son examen de fin de lycée, équivalent du baccalauréat français. «En raison de problèmes médicaux, il était à la limite pour être accepté dans une unité combattante, mais il a insisté et, finalement, il est entré dans une unité de chars», explique Noam.
«Manipulation». Depuis août, Israël tente d'obtenir la libération de Gilad contre celle de prisonniers palestiniens. Mais les négociations entre le gouvernement israélien et les groupes armés, dont le Hamas, qui ont revendiqué l'enlèvement, ont connu de nombreux rebondissements sans jamais se concrétiser. «Il y a beaucoup de manipulation de la part des ravisseurs, explique Noam. Nous avons dû apprendre à ne pas nous jeter sur toutes les informations disponibles, à ne pas lire, à ne pas écouter, à ne pas regarder.»
Des progrès ont cependant été enregistrés récemment. Une liste de prisonniers palestiniens, dont plusieurs commanditaires d'attentats-suicides meurtriers contre des Israéliens, a été transmise aux autorités. Mais les négociations avec Israël, qui exclut officiellement toute libération de détenu palestinien ayant participé à des attaques contre des Israéliens, s'annoncent laborieuses.
Sans remettre en cause ouvertement l'action du gouvernement israélien, Noam laisse percer son amertume : «Je sais que le gouvernement travaille à la libération de Gilad, mais ce qui compte pour moi ce sont les résultats. Et pour le moment, il n'y en a pas. Nous n'avons aucun signe de vie de Gilad, à l'exception d'une lettre qui nous est parvenue en septembre, dictée par ses ravisseurs, qui ne permettent ni contact ni visite.»
Dès les premiers jours qui ont suivi l'enlèvement de Gilad, Noam a demandé l'aide de la France. «Gilad est un soldat israélien mais aussi un citoyen français, souligne-t-il. J'ai été particulièrement sensible aux déclarations récentes du ministre des Affaires étrangères français, Philippe Douste-Blazy, qui a posé la libération de Gilad, qu'il a qualifié de "notre compatriote", comme condition à la reprise de l'aide internationale au gouvernement palestinien.»
Compassion. Il parle avec compassion de la situation des familles palestiniennes qui attendent, elles aussi, la libération de leurs proches détenus dans les prisons israéliennes. En novembre, il a rendu visite aux blessés palestiniens de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza. Noam Schalit déplore cependant «qu'après le retrait de Gaza, les Palestiniens, à la place de construire des logements et des usines, ont construit des fabriques de roquettes et des tunnels pour faire passer des explosifs».
Difficile de coller une étiquette politique à Noam Schalit, qui mène un combat pour son fils sans jamais se départir d'une détermination et d'un calme qui semblent imperturbables. Lui dit ne pas avoir le choix : «Je dois rester calme. Si je montre mon mécontentement ou si je perds le contrôle de moi-même, ils comprennent de l'autre côté [palestinien] qu'ils peuvent faire monter les enchères. Ce que je ressens, je ne peux pas le montrer.»